Si les juristes déplorent régulièrement l’inflation législative, la profusion des lois, les remèdes à ce « cancer » qui ravage l’activité des législatures, sont encore à découvrir. Le droit d’auteur canadien est certainement un des secteurs qui a souffert de ce mal et demande une attention particulière. Le pointillisme du texte législatif, sa surabondance, sa complexité, son hermétisme le rendent inaccessible pour tous, à l’exception des quelques juristes spécialisés. Quelles sont les causes de l’inflation législative ? Comment peut-on rectifier la situation ? C’est le propos de cette conférence.
Dans un premier temps, il sera question de la notion d’inflation législative, pour discerner ce qui est de fait visé par cette expression. Parler d’inflation législative, c’est bien souvent en fait critiquer une réforme législative qui ne fait pas l’unanimité, ou dénoncer un prolifération de règles, jugées trop techniques, trop complexes, difficiles à concilier, si ce n’est carrément contradictoires. Mais en matière de légistique, la question de décider du caractère détaillé ou général des dispositions législatives est toujours un défi. Comme le résumait en 1983 Daniel Jacoby, qui fut sous-ministre de la Justice du Québec, le dilemme demeure : doit-on légiférer par généralités ou doit-on tout dire ? Un court rappel des certaines règles de rédaction législative nous permettra de jeter les bases de la discussion.
La deuxième partie examinera en quoi la loi canadienne sur le droit d’auteur peut être accusée d’inflation législative. Plusieurs aspects de la loi seront abordés. D’abord, un examen de certains concepts-clé et de leur difficile application compte tenu des développements technologiques permet d’expliquer en partie l’activité législative. La présentation fera un survol des principales difficultés à ce niveau, référant à certaines décisions récentes de la Cour suprême.
Par la suite, il faudra considérer l’impact du droit international. En effet, on sait que la loi canadienne a été à plusieurs reprises modifiée pour permettre au Canada de devenir partie à certaines conventions internationales, que ce soit l’Accord de libre-échange Canada – États-Unis, l’Accord de libre-échange nord-américain, l’Accord sur l’Organisation mondiale du commerce et l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce, la Convention de Rome, ou plus récemment le Traité de l’OMPI sur le droit d’auteur (TODA) et le Traité de l’OMPI sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes (TOIEP). À chaque fois, il a fallu mouler le droit national au cadre international, ce qui au contraire du corset qui affine la taille, semble déclencher une augmentation de l’embonpoint du texte législatif.
Enfin, il faudra se prononcer sur la profusion des exceptions législatives insérées dans la loi canadienne. La liste des titres des divisions de la section Exceptions fournit un bon portrait de la situation : Utilisation équitable; Contenu non commercial généré par l’utilisateur; Reproduction à des fins privées; Fixation d’un signal et enregistrement d’une émission pour écoute ou visionnement en différé; Copies de sauvegarde; Actes à but non lucratif; Établissements d’enseignement; Bibliothèques, musées ou services d’archives; Disposition commune aux établissements d’enseignement, bibliothèques, musées ou services d’archives; Bibliothèques, musées ou services d’archives faisant partie d’un établissement d’enseignement; Bibliothèque et Archives du Canada; Programmes d’ordinateur; Recherche sur le chiffrement; Sécurité; Incorporation incidente; Reproductions temporaires pour processus technologiques; Enregistrements éphémères; Retransmission; Services réseau; Personnes ayant des déficiences perceptuelles; Obligations découlant de la loi; Autres cas de non-violation. Dans cette dernière subdivision, le législateur, en vrac, a enligné une autre série d’exceptions introduites à des époques antérieures : utilisations de moules, conférences, allocutions politiques, lectures ou récitations d’un extrait raisonnable, exécutions musicales lors de foires, expositions, dans l’intérêt d’organismes religieux, charitables, ou établissements d’enseignement. A été rajouté en 2012 le droit pour une personne physique d’utiliser à des fins non commerciales ou privées la photographie ou le portrait qu’elle a commandé à des fins personnelles. Comment peut-on expliquer la diversité et l’abondance de ces exceptions ? Pourrait-on adopter un régime minceur ? Des exemples serviront à identifier les causes probables de cette inflation législative et en conclusion, il s’agira non de donner un remède miracle, mais d’énoncer les ingrédients nécessaires pour retrouver un poids santé en matière de droit d’auteur.